Divorcés et remariés
Jean Charles THOMAS (1991-1992)
et la Pastorale familiale (1997)
du diocèse de Versailles
ATTITUDES PASTORALES:
«CHEMINER AVEC LES PERSONNES »
( livret vert, page 20 à 24)
Réflexions rédigées par les chrétiens de l'équipe diocésaine de la Pastorale familiale en 1997
1 ‐ Recevoir, écouter, laisser s'exprimer la personne
" Qui vous accueille, m'accueille moi‐même, et qui m'accueille, accueille Celui qui m'a envoyé". (Matthieu 10, 40‐42) ,
Le Christ nous invite à écouter les personnes. A ses apôtres qui avaient tendance faire le vide autour de lui, il a rappelé qu'il était là pour tous, les malades, les pécheurs,
les enfants.
• Le dialogue avec toute personne blessée au cœur commence toujours par une
longue écoute, silencieuse, sans mise au point immédiate chaque fois qu'une expression
peut sembler excessive ou injuste. La personne n'est pas un "cas", moral ou canonique,
mais une histoire douloureuse qui a causé des blessures rarement cicatrisées.
• L'important, pendant cette période, c'est une attitude d'accueil positif et d'écoute
fondée sur l'attitude du Christ. Il ne s'agit pas de s'abriter derrière des principes ou des
refus qui condamnent.
2‐ Vivre un temps de «compassion»
«Jésus parcourait toutes les villes et les villages, il y enseignait dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité. Voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles, parce qu'elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n'ont pas de berger.» (Matthieu 10,3536)
Un échec dans la relation amoureuse marque toujours profondément.
• Le fait d'en parler ravive la souffrance. L'écoute de cette souffrance est inséparable d'une attitude de compassion.
Le Christ fut souvent bouleversé jusqu'au fond de lui-même.
• Mais le fait de pouvoir en parler amorce aussi la guérison de la blessure. Celui qui écoute doit donc compatir, soutenir, accompagner et encourager.
3 ‐ Inviter la personne à analyser son histoire
«Comment vas-tu dire à ton frère: " Attends que j'ôte la paille de ton œil" ?
Seulement voilà: la poutre est dans ton œil! Homme au jugement perverti, ôte
d'abord la poutre qui est dans ton œil, alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère». (Matthieu 7, 45)
En général, la première expression des personnes blessées dans leur amour est un
jugement porté sur le comportement des autres: premier conjoint, famille, Eglise.
Après avoir écouté la souffrance, il faut, paisiblement et avec bonté, inviter la
personne à s'exprimer sur elle‐même: sur la manière dont elle se perçoit en conscience,
autrement dit aux yeux de Dieu.
Elle peut alors évoquer aussi ses limites, ses propres erreurs, reconnaître sa part de
responsabilité dans la souffrance vécue.
Ceci suppose un climat de confiance, d'entière discrétion, de foi, de prière intérieure,
de prudence et de patience.
4 ‐ Ouvrir les coeurs à une attitude de «non‐jugement»
«Laissez le blé et l'ivraie croître ensemble jusqu'à la moisson» (Matthieu 13, 24-43)
«Femme, personne ne t'a condamnée? Moi non plus, je ne te condamne pas».
(Jean 8,10-11)
Le Christ n'a pas condamné la femme adultère. Il a amené ses accusateurs à la
respecter. Par le silence, il les a conduits à ne pas la condamner. Il a ainsi amené
la femme à retrouver sa dignité, à s'interroger elle‐même en lui disant: «Va. et, désormais, ne pèche plus».
Nul ne doit se substituer à Dieu: le jugement lui appartient sur le fond.
Le Christ nous rappelle aussi que ce jugement‐là ne sera porté qu'en finale.
En attendant, le bon et le moins bon se mêlent dans ce temps, comme le bon grain et l'ivraie.
L'humilité sur soi‐même et l'infinie délicatesse sont inhérentes à tout jugement.
Cette attitude évangélique, préalable à tout bon discernement, est nécessaire,
et au divorcé qui ressent le poids de jugements injustes et dévastateurs portés
sur lui, et à tout chrétien ou pasteur qui peut, en se croyant juste en tous points,
en venir à juger les autres en oubliant ses propres faiblesses.
5 ‐ Évoquer le pardon à accorder
«Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux
qui nous ont offensés.. Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements,
votre Père céleste vous remettra aussi; mais si vous ne remettez pas aux
hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements.» (Matthieu 5,
12‐15 & 18, 15‐35)
Ce point est délicat, difficile à aborder. Mais il conditionne la libération du cœur, la cicatrisation de la souffrance. Jésus en a fait l'objet d'une demande permanente.
Aussi faudra‐t‐il évoquer le chemin du pardon: le pardon reçu, le pardo accordé. Comment pardonner au premier conjoint, surtout s'il est considéré
comme ayant eu la responsabilité principale du divorce ?
Mais comment espérer être soi‐même pardonné si on se refuse à toute hypothèse de pardon ?
6 ‐ Proposer un temps de cheminement spirituel
«Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je
vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez‐vous à mon
école, car je suis doux et humble, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui,
mon joug est facile à porter et mon fardeau léger.» (Matthieu 11, 28‐30)
Tout chrétien placé devant un tel appel à la perfection de l'alliance peut traverser un moment de révolte intérieure ou exprimer son sentiment d'impuissance
à réaliser ce que le Seigneur demande.
Ceux qui ont vécu le divorce ou la séparation ne sont pas les seuls à éprouver ces sentiments.
Tout disciple du Christ est affronté, un jour ou l'autre, à la
nécessité de pardonner, à l'attente d'un pardon qu'il a sollicité et qui ne lui est pas donné.
Celui qui s'estime victime d'une séparation ou d'un rejet a beaucoup de peine à croire qu'il peut lui être demandé de pardonner.
Celui qui s'est déjà remarié depuis un certain temps ressent comme impossible le retour en arrière.
Celui qui a choisi de ne pas se remarier a aussi beaucoup de mal à accepter de
pardonner à son conjoint.
Il faut souvent un long temps de cheminement spirituel pour s'ouvrir au pardon.
• Ce cheminement peut être vécu comme un temps personnel, comprenant la
prière, la méditation des paroles du Christ, l'approfondissement de la foi et sa
mise en pratique.
• Pour certains, l'entrée dans un groupe spirituel pour époux divorcés, répudiés ou abandonnés renonçant à tout nouveau mariage, constitue une
perspective durable et réconfortante vers la perfection dans l'amour fidèle.
• Pour d'autres, la meilleure solution sera la participation à des rencontres avec d'autres personnes divorcées, remariées ou non, conjoints de divorcés,
désireuses d'échanger entre elles.
L'expérience montre que des clarifications s'y produisent sur le passé, sur
l'échec, sur les possibilités de cheminement spirituel, sur les possibilités de
collaboration à la vie de la communauté chrétienne, sur l'invitation au pardon.
Entre eux, les divorcés remariés se sentent moins jugés et s'ouvrent au dialogue.
Le fait de constituer ces groupes de chrétiens, en raison de leur Fo chrétienne et en accord avec la communauté chrétienne, leur permet d'évacuer
progressivement le sentiment de rejet ou d'exclusion.
7 ‐ Ne jamais oublier la vraie Miséricorde:
celle de Dieu
«Ce ne sont pas les bien‐portants qui ont besoin de médecin, mais les
malades; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs.» (Marc 2,17)
Nous connaissons tous l'attitude du Christ avec la femme adultère (Jean, 8, 1‐11), la Samaritaine (Jean 4,7‐30).
Nous connaissons auss i les paraboles de la brebis perdue et retrouvée (Luc15, 4‐7), du père de l'enfant prodigue et du fils aîné qui refuse la miséricorde du
père (Luc 15, 11‐32), des collecteurs d'impôts et des prostituées (Matthieu 21,28-31).
Nous ne comprendrons sans doute jamais jusqu'où va la Miséricorde divine.
On a fait payer cher à Jésus l'accueil qu'il accordait à ceux‐là et celles‐là que, par
leur faute ou non, la vie avait marqués et qui se voyaient mis à l'écart selon les jugements des hommes.
La Miséricorde manifestée par le Christ est accordée à
toutes les blessures et à tous les échecs, même à ceux qui sont dus à des manquements effectués volontairement en toute conscience et liberté.
« La réconciliation par le sacrement de pénitence peut être accordée à ceux
qui se sont repentis d'avoir violé le signe de l'Alliance et de la fidélité au Christ, et
sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction
avec l'indissolubilité du mariage». (Familiaris consortio, n° 84)
La célébration de cette réconciliation sacramentelle est particulièrement opportune au terme de ce cheminement. Les prêtres n'hésiteront pas à la proposer.
8 ‐ Avec toute l'Église, progresser en actes et en réflexion
Depuis quelques années les démarches et les attitudes d'accueil ont été de plus en plus nombreuses. Elles émanaient aussi bien de pasteurs que de membres
des communautés locales.
Le forum du 13 mars 1994 a été pour beaucoup le signe que l'Eglise locale avait fait un grand pas.
La première partie de ce document a précisément pour but d'amplifier ce mouvement d'accueil, d'écoute, de réflexion et de miséricorde dans l'ensemble
des communautés chrétiennes.
Cette démarche est dans la droite ligne de l'Exhortation apostolique déjà citée:
« Avec le synode, j'exhorte chaleureusement les pasteurs et les communautés
de fidèles dans son ensemble à aider les personnes divorcées et réengagées. Avec une grande charité, tous feront en sorte qu'elles ne se sentent pas séparées de
l'Église, car elles peuvent et même elles doivent, comme baptisées, participer à sa vie.
On les invitera à écouter la Parole de Dieu, à assister au sacrifice de la messe,
à persévérer dans la prière, à apporter leur contribution aux œuvres de charité et
aux invitations de la communauté en faveur de la justice, à élever leurs enfant dans la foi chrétienne, à cultiver l'esprit de pénitence et en accomplir les actes,
afin d'implorer, jour après jour, la grâce de Dieu. Que l'Eglise prie pour eux, qu'elle les encourage et se montre à leur égard une mère miséricordieuse, et
qu'ainsi elle les maintienne dans la foi et l'espérance!" (Jean‐Paul 11‐ Familiaris Consortio ‐ 1981 – n°84)
Ce texte est encore trop peu connu des personnes divorcées et réengagées et
des communautés chrétiennes.
L'appartenance ecclésiale et active y est rappelée avec insistance, ainsi que la consigne d'accueil pastoral qui ouvre des perspectives que nous n'avons pas fini d'explorer. Nous devons nous y engager plus résolument. Soyons convaincus que leur mise en pratique sera d'un
immense soutien pour les personnes blessées dans leur amour conjugal.
Texte rédigé par les couples de l'Equipe diocésaine de pastorale familiale du diocèse de Versailles
Après des années de vie conjugale dans un «second» couple:
S'OUVRIR A LA
MISÉRICORDE DE DIEU
• Considérer la situation dans toutes ses composantes
Refaire une vie de couple après l'échec d'une première union ne signifie pas forcément qu'on oublie les valeurs du mariage auxquelles on a cru et on croit encore. Cependant, le fait de ne plus avoir accès aux sacrements du Pardon et de l'Eucharistie donne aux divorcés‐remariés le sentiment d'être de trop, et même d'être en quelque sorte rejetés par la communauté chrétienne, ou, à la limite,
d'être seulement tolérés.
Pourtant, le divorce ou une nouvelle union n'entraînent
pas de soi un abandon de la pratique religieuse ni la perte de la foi; ces épreuves sont parfois, au contraire, l'occasion d'un renouveau spirituel.
Très souvent ces personnes blessées ont le sentiment de subir une grande injustice, d'être considérées comme les seuls pécheurs à connaître une situation irréversible. Ils se demandent pourquoi ne pas êtr e admis pleinement dans cette Eglise, dont le Chef, Jésus le Christ, est modèle exceptionnel d'accueil, de
miséricorde, de pardon, de réintégration.
• Distinguer la diversité des situations
• Le pape Jean‐Paul II nous invite à un discernement face aux situations rencontrées par ceux qui furent blessés dans leur amour.
"Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l'obligation de
bien discerner les diverses situations. il y a en effet une différence entre
ceux qui se sont efforcés avec sincérité de sauver un premier mariage et ont
été injustement abandonnés,
et ceux qui par une faute grave ont détruit un mariage canoniquement valide.
Il y a enfin le cas de ceux qui ont contracté une seconde union en vue de
l'éducation de leurs enfants, et qui ont parfois, en conscience, la certitude
objective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n'avait jamais été
valide." (Familiaris Consortio‐ 1981)
• Accéder au Pardon et à la communion Eucharistique?
Les limites de l'accueil en Église tiennent finalement à la non participation aux sacrements du Pardon et de l'Eucharistie. Nous ne pouvons pas et nous ne
voulons pas traiter à la légère cette question difficile.
Le Pape Jean‐Paul II suggère une voie que nous ne pouvons pas passer sous silence.
La réconciliation par le sacrement de pénitence ‐ qui
ouvrirait la voie à la communion eucharistique ‐ peut êtraccordée « à ceux qui se sont repentis d'avoir violé le signe de l'Alliance ... et sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage .
Vivant comme frère et sœur
Cela implique, concrètement, que, lorsque l'homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs ‐ par exemple l'éducation des enfants ‐ remplir l'obligation de la sépa ration, ils prennent l'engagement de vivre en complète continence, c'est‐à‐dire en s'abstenant des actes réservés aux époux» ( Familiaris consortio n° 84)
L'Eucharistie est sacrement d'unité et de communion avec le Christ. Le sacrement du mariage fait, des époux l'un des symboles de l'amour fidèle unissant le Christ et l'Eglise.
Une grande harmonie relie ces deux sacrements
d'Alliance.
Faut‐il, pour autant, en déduire que cette solution demeure la seule solution
et que nos frères et nos sœurs divorcés, remariés dans une union devenue stable,
doivent être irrémédiablement tenus à distance de la communion eucharistique?
* Sur ce point particulier, rappelons d'abord un passage important de «Familiaris Consortio »:
"L'Église, en effet, instituée pour mener au salut tous les hommes, et en
particulier les baptisés, ne peut abandonner à eux‐mêmes ceux qui, déjà unis
dans les liens du sacrement du mariage, ont voulu passer à d'autres noces. Elle
doit donc s'efforcer, sans se lasser, de mettre à leur disposition les moyens de
salut qui sont les siens.» (Familiaris Consortio ‐1981‐ N° 84)
* La Conscience :
voix de Dieu, le vrai Juge
Nous ne pouvons pas parler de la situation des divorcés‐remariés face à la Réconciliation et à l'Eucharistie sans parler du rôle capital de la conscience individuelle.
" Présente au cœur de la personne, la conscience
morale lui enjoint, au moment opportun, d'accomplir le
bien et d'éviter le mal. Elle juge les choix concrets,
approuvant ceux qui sont bons, dénonçant ceux qui sont mauvais .... elle comprend la perception des principes de la moralité, leur application dans les circonstances données
par un discernement pratique des raisons et des biens et,
en conclusion, le jugement porté sur les actes concrets à
poser ou déjà posés. "
(Catéchisme de l'Église catholique 1992 – N° 1777 et 1780)
"La conscience est le centre le plus
secret de l'homme,
le sanctuaire où il
est seul avec Dieu
et où Sa voix se
fait entendre."
(Vatican 2, "Gaudium et Spes" n° 16 )
• Éléments pour éclairer
le jugement de conscience:
Les trois pages qui suivent sont extraits de la finale du livre" Laissez-vous réconcilier" de Mgr Jean Charles Thomas, Évêque de Versailles pour les Yvelines, Septembre 1991 (texte amélioré en 1992 et publié par l'évêché de Versailles en colonnes synoptiques reproduisant la position de plusieurs évêques allemands, le 11 juillet 1993 )
«Je vous invite à relire d'abord ce qu'en dit le Pape Jean‐Paul II dans son
Exhortation apostolique post‐synodale de décembre 1984. «Réconciliation et pénitence dans la mission de l'Eglise aujourd'hui», Editions du Centurion, 1984, n° 34.
Il souligne, en accord avec les Pères du Synode de 1983, deux principes
également importants: «Le premier est le principe de la compassion et de la
miséricorde ... (qui consiste à chercher) toujours à offrir, autant qu'il lui est
possible, la voie du retour à Dieu et de la réconciliation avec Lui. L'autre principe
est celui de la vérité et de la cohérence».
* L'Eglise catholique n'oublie pas la réponse du Christ à ceux qui lui
demandaient si les époux pouvaient se séparer: «Que l'homme ne sépare pas ce
que Dieu a uni» ( Mat. 19, 1‐12). En fidélité à cette Parole, l'Eglise dit qu'aucune
autorité humaine, fût‐ce la sienne, ne peut dissoudre le mariage des baptisés.
Pour sa part et en conséquence, elle ne se reconnaît pas le droit d'accorder à un
nouveau couple, après divorce, qualité de mariage catholique.
* Des époux séparés peuvent demander à l'Église d'examiner la validité de
leur mariage. Lorsque l'Eglise reconnaît invalide ce mariage, il leur est possible
alors de célébrer un mariage catholique.
* En célébrant le mariage des baptisés, l'Eglise reconnaît l'engagement des
époux de vivre dans l'amour et leur rappelle qu'ils prennent la responsabilité,
devant l'Eglise et la société, de signifier l'amour de Dieu pour le monde, du Christ
pour l'Eglise et de Dieu pour son conjoint.
* Rompre un mariage est donc un acte grave. La séparation des époux, ainsi
unis devant Dieu, les blesse, blesse l'Eglise et fragilise la société. Cette séparation
a pu intervenir soit du fait des deux époux, soit du fait de la responsabilité grave
d'un seul, l'autre devenant séparé sans qu'il y ait faute de sa part.
* Après avoir ainsi rompu un mariage, constituer un nouveau couple, soit
avec un célibataire ou un veuf, soit avec un autre conjoint divorcé est un acte
grave. Il est lourd de conséquences pour les époux, leurs enfants, l'Eglise et la
société.
* Il n'en reste pas moins que, comme tout homme et tout chrétien, les époux
divorcés‐remariés restent soumis au jugement de leur conscience qu'ils ont le
devoir d'éclairer.
‐ En effet, nul ne peut être jugé en état de séparation avec Dieu (état de péché
mortel) pour un acte même grave, qu'il a réalisé sans avoir conscience de sa
gravité ou parce que, à ce moment de son existence et de son évolution
personnelle, il ne voyait pas d'autre issue possible.
‐ Dans sa miséricorde, Dieu les appelle, comme tous les pécheurs, à entrer
dans un chemin de conversion, de pardon et de réconciliation.
* L'Eglise, parce qu'elle est sacrement de la Miséricorde de Dieu, se doit de les
y accompagner par:
· la bienveillance fraternelle de tous les chrétiens,
· la prière pour les pécheurs,
· la célébration du Jour du Seigneur,
· les offres de participation à la vie de l'Eglise et au service des frères humains.
* L'Eglise se doit aussi de les aider par l'éducation de leur conscience dans ce
retour à Dieu qui n'a jamais cessé de les aimer (Luc 15) Dieu seul est Juge de
l'homme qui retourne vers Lui et accueille la réconciliation qu'II lui propose. Dieu
peut donc avoir pardonné. Cependant, l'Eglise catholique romaine ne se reconnaît
pas le droit de célébrer ce pardon par le sacrement de la Réconciliation.
* Plusieurs éléments doivent intervenir ensemble pour éclairer ce
«jugement de conscience»
1. La recherche de clarification sur le premier mariage.
En cas de doute sur sa validité et grâce à un entretien avec
une personne qualifiée, il s'agira non seulement d'un examen sur la validité de ce mariage, mais surtout d'une relecture de sa vie pour s'interroger loyalement sur la qualité des essais de
réconciliation entre époux. Quelle que soit la conclusion de cet
examen, il se peut qu'un des conjoints, après une loyale recherche, demeure convaincu de la nullité du mariage en conscience et en toute bonne foi. (cf . Familiaris Consortio, 1982, n° 84)
2. La reconnaissance des dommages causés par la séparation.
Chacun doit faire des effort s constants pour maintenir une attitude de charité et de justice envers le premier conjoint et les enfants de la première union. L'aveu de la part de responsabilité qui appartient à chacun ouvre toujours le chemin du pardon.
La demande de pardon et le désir de pardonner en retour constituent un des signes de la conversion du cœur et du retour vers Dieu. «Pardonne‐nous nos torts envers Toi comme nous‐mêmes avons pardonné à ceux qui avaient des torts
envers nous» (Mat. 6, 12‐15).
3. L'attitude non agressive envers le précédent conjoint,
ou envers l'Eglise.
Passer de la revendication et de la colère à une attitude d'acceptation du réel et de compréhension de l'Evangile et de l'Eglise est le signe d'une vraie conversion qui commence dans l'épreuve elle‐même.
Peuvent aussi être considérés comme vivant une attitude équitable ceux qui ne taxent pas d'intransigeance l'Eglise, même quand elle n'a pas reconnu la non validité de la première union. Un cheminement de discernement est indispensable pour éclairer la conscience individuelle sur la nullité du premier mariage en application des principes canoniques régissant la validité du mariage.
4. La durée et la qualité du second couple.
S'il s'avère stable, par exemple depuis une dizaine d'années, paisible, fidèle, le jugement de conscience doit en tenir compte. La relation aux enfants et le soin
apporté à leur éducation constituent également un élément de jugement favorable.
5. La qualité de la vie spirituelle des époux divorcés‐remariés.
Elle constitue l'une des marques les plus certaines de la «bonne foi» chrétienne.
Il ne manque pas de divorcés‐remariés qui ont pris conscience de la faiblesse de leur vie chrétienne passée et qui ont été poussés intérieurement à une vie de foi beaucoup plus forte à partir de leur second mariage, individuellement ou en foyer.
Ils prient plus souvent, se nourrissent de la Parole de Dieu, célèbrent le dimanche en allant à la messe régulièrement, se reconnaissent humblement pécheurs appelés au pardon, éduquent leurs enfants selon la Foi d'une manière plus décidée que jadis, participent à l'évangélisation, se montrent assidus à des groupes de prière ou d'apostolat.
Comment ne pas reconnaître, avec eux, que ce progrès est non seulement l'œuvre d'une conversion intérieure mais aussi de l'Esprit Saint qui souffle où Il veut et quand Il veut? (Jean 3, 8)
6. Le dialogue avec d'autres chrétiens est un dernier élément
dont il faut tenir compte.
Il prouve aux divorcés‐remariés l'ouverture et la sincérité de leur recherche, permet de rompre l'impression d'un rejet loin de l'Eglise ou d'une exclusion: il donne aux baptisés des éléments complémentaires de jugement de conscience, permet un discernement spirituel sur leur «état d'âme» et leur relation à Dieu: de toutes façons, il rompt l'impression d'une exclusion et d'un rejet de la Communauté des chrétiens.
• Lorsque, sur ces six points pris ensemble, le jugement de conscience est largement positif, il devient signe que les époux divorcés‐remariés ne sont pas en état de rupture avec Dieu mais proches de la communion avec Lui. Les aider à en prendre conscience et à en tirer de bonne foi, eux‐mêmes, toutes les conséquences pour leur vie chrétienne, après en
avoir parlé avec d'autres chrétiens, constitue une voie à laquelle nous devons penser, eux et nous.
• Elle est une voie de miséricorde et de vérité à la fois pour les divorcés-remariés et pour la Communauté chrétienne tout entière. Elle ne change pas la situation canonique ou officielle des divorcés‐remariés mais elle éclaire et promeut leur liberté de conscience.
• Elle peut les aider à progresser spirituellement dans la paix du cœur en s'en remettant à la miséricorde de Celui qui, seul, juge les reins et les cœurs et jugera finalement nos existences de pauvres pécheurs, pardonnés et réconciliés dans la
Mort et la Résurrection du Christ.
Elle nous fait tous progresser sur le chemin de la Miséricorde de Dieu à l'égard
de tous les hommes».
(Fin du texte de Mgr THOMAS édition 1992)
291 Les Père synodaux ont affirmé que, même si l’Église comprend que toute rupture du lien matrimonial « va à l’encontre de la volonté de Dieu, [elle] est également consciente de la fragilité de nombreux de ses fils ».311
Illuminée par le regard de Jésus Christ, elle «se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien, pour prendre soin l’un de l’autre avec amour et être au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent ».312
D’autre part, cette attitude se trouve renforcée dans le contexte d’une Année Jubilaire consacrée à la miséricorde. Bien qu’elle propose toujours la perfection et invite à une réponse plus pleine à Dieu, « l’Église doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, en leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière du phare d’un port ou d’un flambeau placé au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu leur chemin ou qui se trouvent au beau milieu de la tempête ».313
N’oublions pas que souvent la mission de l’Église ressemble à celle d’un hôpital de campagne.
292 Le mariage chrétien, reflet de l’union entre le Christ et son Église, se réalise pleinement dans l’union entre un homme et une femme, qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre, s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Église domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société. D’autres formes d’union contredisent radicalement cet idéal, mais certaines le réalisent au moins en partie et par analogie. Les Pères synodaux ont affirmé que l’Église ne cesse de valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne cor¬respondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseignement sur le mariage.314
La gradualité dans la pastorale
293 Les Pères se sont également penchés sur la situation particulière d’un mariage seulement civil ou même, toute proportion gardée, d’une pure cohabitation où « quand l’union atteint une stabilité consistante à travers un lien public, elle est caractérisée par une affection profonde, confère des responsabilités à l’égard des enfants, donne la capacité de surmonter les épreuves et peut être considérée comme une occasion à accompagner dans le développement menant au sacrement du mariage ».315
D’autre part, il est préoccupant que de nombreux jeunes se méfient aujourd’hui du mariage et cohabitent en reportant indéfiniment l’engagement conjugal, tandis que d’autres mettent un terme à l’engagement pris et en instaurent immédiatement un nouveau. Ceux-là « qui font partie de l’Église ont besoin d’une attention pastorale miséricordieuse et encourageante ».316
En effet, non seulement la promotion du mariage chrétien revient aux Pasteurs, mais aussi « le discernement pastoral des situations de beaucoup de gens qui ne vivent plus dans cette situation » pour « entrer en dialogue pastoral avec ces personnes afin de mettre en évidence les éléments de leur vie qui peuvent conduire à une plus grande ouverture à l’Évangile du mariage dans sa plénitude ».317
Dans le discernement pastoral, il convient d’identifier « les éléments qui peuvent favoriser l’évangélisation et la croissance humaine et spirituelle
294 « Le choix du mariage civil ou, dans différents cas, de la simple vie en commun, n’est dans la plupart des cas pas motivé par des préjugés ou des résistances à l’égard de l’union sacramentelle, mais par des raisons culturelles ou contingentes ».319
Dans ces situations il sera possible de mettre en valeur ces signes d’amour qui, d’une manière et d’une autre, reflètent l’amour de Dieu.320
Nous savons que « le nombre de ceux qui, après avoir vécu longtemps ensemble, demandent la célébration du mariage à l’Église, connaît une augmentation constante.
Le simple concubinage est souvent choisi à cause de la mentalité générale contraire aux institutions et aux engagements définitifs, mais aussi parce que les personnes attendent d’avoir une certaine sécurité économique (emploi et salaire fixe).
Dans d’autres pays, enfin, les unions de fait sont très nombreuses, non seulement à cause du rejet des valeurs de la famille et du mariage, mais surtout parce que se marier est perçu comme un luxe, en raison des conditions sociales, de sorte que la misère matérielle pousse à vivre des unions de fait ».321
Mais « toutes ces situations doivent être affrontées d’une manière constructive, en cherchant à les transformer en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile.
Il s’agit de les accueillir et de les accompagner avec patience et délicatesse».322
C’est ce qu’a fait Jésus avec la samaritaine (cf. Jn 4, 1-26) : il a adressé une parole à son désir d’un amour vrai, pour la libérer de tout ce qui obscurcissait sa vie et la conduire à la joie pleine de l’Évangile.
295 Dans ce sens, saint Jean-Paul II proposait ce qu’on appelle la ‘‘loi de gradualité’’, conscient que l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance ».323
Ce n’est pas une ‘‘gradualité de la loi’’, mais une gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi. En effet, la loi est aussi un don de Dieu qui indique le chemin, un don pour tous sans exception qu’on peut vivre par la force de la grâce, même si chaque être humain « va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme ».324
Le discernement des situations dites ‘‘irrégulières’’325
296 Le Synode s’est référé à diverses situations de fragilité ou d’imperfection. À ce sujet, je voudrais rappeler ici quelque chose dont j’ai voulu faire clairement part à toute l’Église pour que nous ne nous trompions pas de chemin :
« Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Église : exclure et réintégrer […]. La route de l’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration […]. La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un coeur sincère […Car] la charité véritable est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite ! »326
Donc, « il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition ».327
297 Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde ‘‘imméritée, inconditionnelle et gratuite’’. Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! Je ne me réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent. Bien entendu, si quelqu’un fait ostentation d’un péché objectif comme si ce péché faisait partie de l’idéal chrétien, ou veut imposer une chose différente de ce qu’enseigne l’Église, il ne peut prétendre donner des cours de catéchèse ou prêcher, et dans ce sens il y a quelque chose qui le sépare de la communauté (cf. Mt 18, 17).
Il faut réécouter l’annonce de l’Évangile et l’invitation à la conversion.
Cependant même pour celui-là, il peut y avoir une manière de participer à la vie de la communauté, soit à travers des tâches sociales, des réunions de prière ou de la manière que, de sa propre initiative, il suggère, en accord avec le discernement du Pasteur. En ce qui concerne la façon de traiter les diverses situations dites ‘‘irrégulières’’, les Pères synodaux ont atteint un consensus général, que je soutiens : « Dans l’optique d’une approche pastorale envers les personnes qui ont contracté un mariage civil, qui sont divorcées et remariées, ou qui vivent simplement en concubinage, il revient à l’Église de leur révéler la divine pédagogie de la grâce dans leurs vies et de les aider à parvenir à la plénitude du plan de Dieu sur eux »,328 toujours possible avec la force de l’Esprit Saint.
298
Les divorcés engagés dans une nouvelle union, par exemple, peuvent se retrouver dans des situations très différentes, qui ne doivent pas être cataloguées ou enfermées dans des affirmations trop rigides sans laisser de place à un discernement personnel et pastoral approprié. Une chose est une seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de sa propre situation et une grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes.
L’Église reconnaît des situations où «l’homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs - par exemple l’éducation des enfants -, remplir l’obligation de la séparation ».329
Il y aussi le cas de ceux qui ont consenti d’importants efforts pour sauver le premier mariage et ont subi un abandon injuste, ou celui de « ceux qui ont contracté une seconde union en vue de l’éducation de leurs enfants, et qui ont parfois, en conscience, la certitude subjective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n’avait jamais été valide ».330
Mais autre chose est une nouvelle union provenant d’un divorce récent, avec toutes les conséquences de souffrance et de confusion qui affectent les enfants et des familles entières, ou la situation d’une personne qui a régulièrement manqué à ses engagements familiaux. Il doit être clair que ceci n’est pas l’idéal que l’Évangile propose pour le mariage et la famille.
Les Pères synodaux ont affirmé que le discernement des Pasteurs doit toujours se faire « en distinguant attentivement »331 les situations, d’un « regard différencié ».332 Nous savons qu’il n’existe pas de « recettes simples ».333
299 J’accueille les considérations de beaucoup de Pères synodaux, qui sont voulu signaler que « les baptisés divorcés et remariés civilement doivent être davantage intégrés dans les communautés chrétiennes selon les diverses façons possibles, en évitant toute occasion de scandale.
La logique de l’intégration est la clef de leur accompagnement pastoral, afin que non seulement ils sachent qu’ils appartiennent au Corps du Christ qu’est l’Église, mais qu’ils puissent en avoir une joyeuse et féconde expérience.
Ce sont des baptisés, ce sont des frères et des soeurs, l’Esprit Saint déverse en eux des dons et des charismes pour le bien de tous.
Leur participation peut s’exprimer dans divers services ecclésiaux : il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées.
Non seulement ils ne doivent pas se sentir excommuniés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membres vivants de l’Église, la sentant comme une mère
qui les accueille toujours,
qui s’occupe d’eux avec beaucoup d’affection et qui les encourage sur le chemin de la vie et de l’Évangile.
Cette intégration est nécessaire également pour le soin et l’éducation chrétienne de leurs enfants, qui doivent être considérés comme les plus importants ».334
300 Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, comme celles mentionnées auparavant, on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du Synode ou de cette Exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas.
Il faut seulement un nouvel encouragement au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers, qui devrait reconnaître que, étant donné que « le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas »,335
les conséquences ou les effets d’une norme ne doivent pas nécessairement être toujours les mêmes.336
Les prêtres ont la mission « d’accompagner les personnes intéressées sur la voie du discernement selon l’enseignement de l’Église
et les orientations de l’évêque.
Dans ce processus, il sera utile de faire un examen de conscience, grâce à des moments de réflexion et de repentir.
Les divorcés remariés devraient
se demander
comment ils se sont comportés envers leurs enfants quand l’union conjugale est entrée en crise ;
s’il y a eu des tentatives de réconciliation ; quelle est la situation du partenaire abandonné ;
quelles conséquences a la nouvelle relation sur le reste de la famille
et sur la communauté des fidèles ;
quel exemple elle offre aux jeunes qui doivent se préparer au mariage.
Une réflexion sincère peut renforcer la confiance en la miséricorde de Dieu,
qui n’est refusée à personne ».337
Il s’agit d’un itinéraire d’accompagnement et de discernement
qui « oriente ces fidèles
à la prise de conscience de leur situation devant Dieu.
Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la
formation d’un jugement correct
sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église
et sur les étapes à accomplir
pour la favoriser et la faire grandir.
Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio , n. 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église.
Pour qu’il en soit ainsi, il faut garantir les conditions nécessaires
d’humilité, de discrétion,
d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère
de la volonté de Dieu
et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite ».338
Ces attitudes sont fondamentales pour éviter le grave risque de messages erronés, comme l’idée qu’un prêtre peut concéder rapidement des ‘‘exceptions’’, ou qu’il existe des personnes qui peuvent obtenir des privilèges sacramentaux en échange de faveurs.
Lorsqu’on rencontre une personne responsable et discrète, qui ne prétend pas placer ses désirs au-dessus du bien commun de l’Église,
et un Pasteur qui sait reconnaître la gravité de la question entre ses mains,
on évite le risque qu’un discernement donné conduise à penser que l’Église entretient une double morale.
Les circonstances atténuantes dans le discernement pastoral
301 Pour comprendre de manière appropriée pourquoi un discernement spécial est possible et nécessaire dans certaines situations dites ‘‘irrégulières’’, il y a une question qui doit toujours être prise en compte, de manière qu’on ne pense jamais qu’on veut diminuer les exigences de l’Évangile.
L’Église a une solide réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes.
Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante.
Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les « valeurs comprises dans la norme »339
ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute.
Comme les Pères synodaux l’ont si bien exprimé, « il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision ».340
Saint Thomas d’Aquin reconnaissait déjà qu’une personne peut posséder la grâce et la charité, mais ne pas pouvoir bien exercer quelques vertus,341 en sorte que même si elle a toutes les vertus morales infuses, elle ne manifeste pas clairement l’existence de l’une d’entre elles, car l’exercice extérieur de cette vertu est rendu difficile : « Quand on dit que des saints n’ont pas certaines vertus, c’est en tant qu’ils éprouvent de la difficulté dans les actes de ces vertus, mais ils n’en possèdent pas moins les habitudes de toutes les vertus ». 342
302 En ce qui concerne ces conditionnements, le Catéchisme de l’Église catholique s’exprime clairement : «L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux ».343
Dans un autre paragraphe, il se réfère de nouveau aux circonstances
qui atténuent la responsabilité morale, et mentionne, dans une gamme variée, «l’immaturité affective, […]
la force des habitudes contractées, […]
l’état d’angoisse
ou [d’]autres facteurs psychiques ou sociaux ».344
C’est pourquoi, un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée.345
Au regard de ces convictions,
je considère très approprié ce que beaucoup de Pères synodaux ont voulu soutenir :
« Dans des circonstances déterminées, les personnes ont beaucoup de mal à agir différemment […].
Le discernement pastoral,
tout en tenant compte de la conscience correctement formée des personnes,
doit prendre en charge ces situations.
Les conséquences des actes accomplis ne sont pas non plus nécessairement les mêmes dans tous les cas ».346
303
À partir de la reconnaissance du poids des conditionnements concrets,
nous pouvons ajouter que
la conscience des personnes doit être mieux prise en compte par la praxis de l’Église
dans certaines situations qui ne réalisent pas objectivement notre conception du mariage.
Évidemment, il faut encourager la maturation d’une conscience éclairée, formée et accompagnée par le discernement responsable et sérieux du Pasteur,
et proposer une confiance toujours plus grande dans la grâce.
Mais cette conscience peut reconnaître non seulement qu’une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Évangile.
De même, elle peut reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations,
même si elle n’atteint pas encore pleinement l’idéal objectif.
De toute manière, souvenons-nous que
ce discernement est dynamique
et doit demeurer toujours ouvert
à de nouvelles étapes de croissance
et à de nouvelles décisions qui permettront de réaliser l’idéal plus pleinement.
Les normes et le discernement
304 Il est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale,
car cela ne suffit pas pour discerner
et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète d’un être humain.
Je demande avec insistance que nous nous souvenions toujours d’un enseignement de saint Thomas d’Aquin,
et que nous apprenions à l’intégrer dans le discernement pastoral :
« Bien que dans les principes généraux,
il y ait quelque nécessité,
plus on aborde les choses particulières,
plus on rencontre de défaillances […]. Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières,
mais uniquement dans les principes généraux ;
et chez ceux pour lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres,
elle n’est pas également connue de tous […]. Plus on entre dans les détails, plus les exceptions se multiplient ».347
Certes, les normes générales présentent un bien qu’on ne doit jamais ignorer ni négliger, mais dans leur formulation,
elles ne peuvent pas embrasser dans l’absolu toutes les situations particulières.
En même temps, il faut dire que, précisément pour cette raison, ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière ne peut être élevé à la catégorie d’une norme.
Cela, non seulement donnerait lieu à une casuistique insupportable, mais mettrait en danger les valeurs qui doivent être soigneusement préservées.348
305 Par conséquent,
un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales
à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes.
C’est le cas des coeurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église « pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées ». 349
Dans cette même ligne, s’est exprimée la Commission Théologique Internationale :
«La loi naturelle ne saurait donc être présentée comme un ensemble déjà constitué de règles qui s’imposent a priori au sujet moral, mais elle est une source d’inspiration objective pour sa démarche, éminemment personnelle, de prise de décision ». 350
À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu,
qu’on puisse aimer, et qu’on puisse
également grandir dans la vie de la grâce
et dans la charité,
en recevant à cet effet l’aide de l’Église.351
Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations.
En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu.
Rappelons-nous qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés ».352
La pastorale concrète des ministres et des communautés ne peut cesser de prendre en compte cette réalité.
306 En toute circonstance, face à ceux qui ont des difficultés à vivre pleinement la loi divine, doit résonner l’invitation à parcourir la via caritatis.
La charité fraternelle est la première loi des chrétiens (cf. Jn 15, 12 ; Ga 5, 14). N’oublions pas la promesse des Écritures :
« Avant tout, conservez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés » (1P 4, 8).
« Romps tes péchés par les oeuvres de justice, et tes iniquités en faisant miséricorde aux pauvres » (Dn 4, 24).
« L’eau éteint les flammes, l’aumône remet les péchés » (Si 3, 30).
C’est aussi ce qu’enseigne saint Augustin : « Comme en danger d’incendie nous courons chercher de l’eau pour l’éteindre, […] de la même manière, si surgit de notre paille la flamme du péché et que pour cela nous en sommes troublés, une fois que nous est donnée l’occasion d’une oeuvre de miséricorde, réjouissons-nous d’une telle oeuvre comme si elle était une source qui nous est offerte pour que nous puissions étouffer l’incendie ».353
La logique de la miséricorde pastorale
307 Afin d’éviter toute interprétation déviante, je rappelle
que d’aucune manière l’Église ne doit renoncer à proposer l’idéal complet du mariage,
le projet de Dieu dans toute sa grandeur : « Les jeunes baptisés doivent être encouragés à ne pas hésiter devant la richesse que le sacrement du mariage procure à leurs projets d’amour, forts du soutien qu’ils reçoivent de la grâce du Christ et de la possibilité de participer pleinement à la vie de l’Église ».354
La tiédeur, toute forme de relativisme,
ou un respect excessif quand il s’agit de le proposer,
seraient un manque de fidélité à l’Évangile
et également un manque d’amour de l’Église envers ces mêmes jeunes.
Comprendre les situations exceptionnelles n’implique jamais d’occulter la lumière de l’idéal dans son intégralité ni de proposer moins que ce que Jésus offre à l’être humain.
Aujourd’hui, plus important qu’une pastorale des échecs est l’effort pastoral pour consolider les mariages et prévenir ainsi les ruptures.
308 Cependant, de notre prise de conscience relative au poids des circonstances atténuantes
– psychologiques, historiques, voire biologiques –
il résulte que « sans diminuer la valeur
de l’idéal évangélique,
il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour » ouvrant la voie à « la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible ».355
Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion.
Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité :
une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif,
« ne renonce pas au bien possible même si elle risque de se salir avec la boue de la route ».356
Les Pasteurs, qui proposent aux fidèles
l’idéal complet de l’Évangile
et la doctrine de l’Église,
doivent les aider aussi à assumer
la logique de la compassion avec les personnes fragiles
et à éviter les persécutions
ou les jugements trop durs ou impatients. L’Évangile lui-même nous demande
de ne pas juger
et de ne pas condamner (cf. Mt 7, 1 ; Lc 6, 37).
Jésus « attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du coeur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Quand nous le faisons, notre vie devient toujours merveilleuse ».357
309 Il est providentiel que ces réflexions aient lieu dans le contexte d’une Année Jubilaire consacrée à la miséricorde, car face également aux diverses situations qui affectent la famille,
« l’Église a pour mission d’annoncer la miséricorde de Dieu, coeur battant de l’Évangile, qu’elle doit faire parvenir au coeur et à l’esprit de tous.
L’Épouse du Christ adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne ».358
Elle sait bien que Jésus lui-même se présente comme le Pasteur de cent brebis, non pas de quatre-vingt-dix-neuf. Il les veut toutes.
Si on est conscient de cela, il sera possible qu’« à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous ».359
310 Nous ne pouvons pas oublier que
« la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père,
mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants.
En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde ».360
Il ne s’agit pas d’une offre romantique ou d’une réponse faible face à l’amour de Dieu, qui veut toujours promouvoir les personnes, car
« la miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Église. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de miséricorde ».361
Certes, parfois « nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs.
Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile ».362
311 L’enseignement de la théologie morale ne devrait pas cesser d’intégrer ces considérations, parce que
s’il est vrai qu’il faut préserver l’intégralité de l’enseignement moral de l’Église,
on doit toujours mettre un soin particulier à souligner
et encourager les valeurs plus hautes
et centrales de l’Évangile,363
surtout la primauté de la charité comme réponse à l’initiative gratuite
de l’amour de Dieu.
Parfois, il nous coûte beaucoup de faire place à l’amour inconditionnel de Dieu dans la pastorale.364
Nous posons tant de conditions à la miséricorde que nous la vidons de son sens concret et de signification réelle,
et c’est la pire façon de liquéfier l’Évangile. Sans doute, par exemple, la miséricorde n’exclut pas la justice et la vérité,
mais avant tout, nous devons dire que
la miséricorde est la plénitude de la justice
et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu.
C’est pourquoi, il convient toujours de considérer que « toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute-puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates ».365
312 Cela nous offre un cadre et un climat qui nous empêchent de développer une morale bureaucratique froide en parlant des thèmes les plus délicats,
et nous situe plutôt dans le contexte d’un discernement pastoral empreint d’amour miséricordieux,
qui tend toujours à comprendre,
à pardonner,
à accompagner,
à attendre,
et surtout à intégrer.
C’est la logique qui doit prédominer dans l’Église, pour « faire l’expérience d’ouvrir le coeur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes ».366
J’invite les fidèles qui vivent des situations compliquées, à s’approcher avec confiance de leurs pasteurs ou d’autres laïcs qui vivent dans le dévouement au Seigneur pour s’entretenir avec eux.
Ils ne trouveront pas toujours en eux la confirmation de leurs propres idées ou désirs, mais sûrement,
ils recevront une lumière qui leur permettra de mieux saisir ce qui leur arrive
et pourront découvrir un chemin de maturation personnelle.
Et j’invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le coeur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Église.